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Boulimie : quand la nourriture devient une drogue

Boulimie (Bulimia nervosa) signifie « faim de boeuf « . Dans le langage courant, on peut faire une boulimie de lectures, de chocolat ou de chaussons aux pommes. Mais tout cela est fort éloigné de la « vraie » boulimie, qualifiée parfois de « toxicomanie sans drogue »

Qu’est-ce que la boulimie ?

La boulimie se caractérise par le besoin irrépressible de consommer rapidement de grandes quantités d’aliments souvent hyper caloriques, hors des repas et en cachette, la plupart du temps en fin de journée. Le boulimique a le sentiment de ne pas pouvoir s’arrêter de manger.
Toute perturbation, tout événement, même minime, peut servir de déclencheur à la crise : règles ou moment de l’ovulation, difficultés relationnelles ou sexuelles, temps morts vécus comme « ennui », vide intolérable, culpabilité, discours intérieur dévalorisant… La faim engendrée par une longue privation alimentaire peut aussi déclencher la boulimie. Cette envie irrépressible s’accompagne d’une peur morbide de grossir, d’une sensation de perte de contrô le et d’une impression d’être anormal.

Malgré leurs excès, les boulimiques ont un poids fluctuant mais souvent proche de la normale, soit parce qu’ils se font vomir après la crise (de manière presque automatique au fil du temps, avec une valeur de punition ou d’expiation) ou ont recours à des laxatifs, des diurétiques…, soit parce qu’ils jeûnent ensuite et se livrent à des exercices physiques excessifs pour compenser, ce qui les rapproche des anorexiques.
L’accès est suivi de remords et de culpabilité, d’un état de torpeur chez les boulimiques qui ne se font pas vomir, vite troublé par des douleurs abdominales dues à la digestion.

Dans quel contexte psychologique s’ancre la boulimie ?

La préoccupation obsédante du poids et des formes se retrouve chez le boulimique. Les accès s’accompagnent de pratiques alimentaires chaotiques, avec une alternance de restriction, purge et gavage. Bien des boulimiques ne prennent plus guère de repas en famille ou avec leurs amis : leur vie sociale est de plus en plus perturbée. La personne se marginalise et, tout en essayant de faire illusion, il se sent profondément anormal et différent. Pourtant, contrairement aux anorexiques, un poids voisin de la normale lui permet de montrer des apparences de normalité. Mais derrière cette façade se cache quelqu’un qui doute, qui ne s’aime pas, n’aime pas son corps, cherche à plaire aux autres avec à la fois la peur d’être rejeté et l’angoisse des relations trop intimes. Cette douloureuse opposition entre les apparences et la réalité lui donne l’impression de vivre dans un mensonge permanent. Souvent, les relations restreintes, l’isolement affectif s’accompagnent d’une revendication d’indépendance, mais sont vécus dans la dépendance.

Parfois, la conscience de soi et les capacités d’introspection sont limitées. Il y a dans ce cas un risque de passages à l’acte impulsifs qui ne concernent plus seulement l’alimentation : il s’agit de kleptomanie, nymphomanie, toxicomanie avec des abus d’alcool, des tentatives de suicide et des actes de violence.

Qui est ou risque d’être boulimique ?

La boulimie touche 3 garçons pour 10 filles.
En France, 2% de la population féminine générale et 4 à 8 % de la population féminine étudiante souffrent de boulimie. Les boulimiques se rencontrent surtout parmi les femmes jeunes, performantes et ambitieuses sur le plan professionnel. L’âge d’apparition des troubles peut être très précoce : dès 12 ans, mais c’est le plus souvent vers l’âge de 17-18 ans que commencent les problèmes.

Chez un tiers des boulimiques, on trouve un épisode d’anorexie mentale vers l’âge de 16 ans. La plupart ont déjà fait des épisodes dépressifs majeurs. Le taux de célibat et de femmes vivant seules est aussi nettement plus élevé chez les boulimiques que dans la population générale.

Pourquoi la boulimie affecte pour l’essentiel les jeunes filles et les femmes ?

Aucune étude ne propose de réponse univoque et définitive à cette question. Au rang des hypothèses biologiques, certains avancent le rôle préventif que pourrait jouer une puberté d’apparition plus tardive chez les garçons que chez les filles. On évoque également le possible impact protecteur des hormones sexuelles mâles et l’absence des variations menstruelles qui, chez les femmes, favorisent les variations d’humeur et de comportement.

On peut aussi invoquer une dimension socioculturelle et l’importance accordée à la minceur, avec son cortège de régimes plus ou moins sauvages.
Il faut aussi compter sur les différences éducatives, les garçons étant dès l’enfance valorisés pour leur autonomie, leur compétitivité et leur agressivité potentielle, alors que les petites filles sont plutôt récompensées pour leur soumission, leur dépendance, et risquent ainsi de développer une estime de soi fortement liée à l’approbation d’autrui.
Le professeur Aimez, pour expliquer l’augmentation des troubles boulimiques, accuse la société de consommation qui, « comble les besoins mais réprime les désirs ». Il évoque aussi l’influence des transformations intra familiales.

Quelles sont les répercussions de la boulimie sur la santé ?

Les conséquences des vomissements, associés à la prise de laxatifs et de diurétiques, sont la perte de chlore, de magnésium et de potassium. Les taux bas de potassium dans le sang entraîne des troubles graves du rythme cardiaque, avec un risque de mort subite d’origine cardiaque.
A la longue s’installent un état de fatigue généralisée, une baisse des performances intellectuelles, des crampes musculaires, des crises nerveuses, des troubles des règles, même en cas de poids normal.
Les boulimiques peuvent aussi souffrir de lésions irritatives de l’estomac et de l’œsophage, de troubles intestinaux, avoir les dents qui se déchaussent, perdre leurs cheveux.

Les variations brutales de poids engendrent souvent des vergetures, et les vomissements, une inflammation des glandes salivaires.
L’état dépressif, fréquent chez les boulimiques, est sans doute favorisé par l’affaiblissement physique.

Comment guérir de la boulimie ?

La volonté seule ne suffit pas. Il faut demander de l’aide pour sortir du cercle vicieux prise d’aliments-vomissements, qui s’avère très résistant dans la plupart des cas. Mais la clandestinité, la honte, le désir de s’en sortir seul retardent longtemps l’appel à l’aide. D’autant que la boulimie peut passer inaperçue.
En moyenne, un traitement spécifique de la boulimie est mis en oeuvre seulement trois ans après le début manifeste des troubles.
Les boulimiques doivent rarement être hospitalisées, sauf si les vomissements entraînent un manque de potassium dangereux pour le cœur ou en cas de dépression grave. Chez une ancienne anorexique, le passage à la boulimie est souvent vécu comme un échec : elles ne peuvent plus contrôler tout ce qu’elles mangent, et soudain elles se sentent débordées. Il faut alors se montrer particulièrement vigilant.

Une prise en charge spécialisée, faisant intervenir nutritionniste, psychiatre ou psychanalyste, est recommandée. Le traitement, en plusieurs étapes, peut faire appel à différentes techniques.

La rééducation alimentaire : elle est indispensable, car la boulimie est entretenue par un régime anarchique. Il faut se réhabituer à des repas réguliers et équilibré pris à heures fixes. Il faut aussi renoncer à courir après un poids idéal, arrêter de se peser tous les jours.

La tenue d’un carnet : la jeune fille y note ce qu’elle mange ou ce qu’elle a envie de manger, avec des commentaires pour préciser si elle a lutté, combien de temps, avant de manger ou non, et décrire son état psychologique du moment. Les nutritionnistes et les psychothérapeutes comportementalistes l’utilisent pour aider la boulimique à repérer les moments, les émotions, les situations qui la font craquer et à imaginer avec elle des comportements qui peuvent l’aider à résister.

La restauration de l’image du corps : ce travail passe par la danse, le théâtre, toute activité mettant le corps en valeur.

La psychothérapie : pour retrouver l’estime de soi, comprendre l’origine du trouble et réussir à faire passer l’obsession de la nourriture au second plan.
La prise d’antidépresseurs : ces médicaments peuvent aider les plus dépressives et aussi limiter les crises.

La thérapie familiale : elle peut contribuer à débloquer une situation difficile à vivre pour l’entourage.

Après des années de patience, et une évolution très chaotique avec alternance de périodes de crise et de rémission, bien des boulimiques parviennent à vivre normalement, mais on ne dispose pas encore de statistiques, étant donné la reconnaissance récente de cette maladie. La boulimie deviendrait chronique dans un tiers des cas.

Quand un ado a des comportements boulimiques ou anorexiques, à partir de quand faut-il s’inquiéter ?

Il arrive à la plupart des ados, et des adultes, de se goinfrer dans un état plus ou moins conscient sous le coup d’une émotion, ou parce qu’ils se trouvent soudain très nuls, ou après une période de régime draconien, ou encore lorsqu’ils traversent une période d’ennui, d’angoisse ou de vide intérieur. De même, il est courant de se sentir un peu trop gros ou assez troublé pour avoir l’appétit coupé pendant plusieurs jours. Cette perte d’appétit peut aussi correspondre au besoin de dominer des pulsions dont l’adolescent a honte, ou traduire la difficulté à accepter un corps qui change. Rien de bien inquiétant à cela lorsque ces perturbations du comportement alimentaire sont passagères. La plupart des adolescents traversent de telles périodes, elles sont inévitables et traduisent les incertitudes et les inquiétudes inhérentes à cet âge.

Il ne faut s’inquiéter que lorsque ces conduites perturbées se répètent et s’installent. Le recours à la nourriture devient alors un réflexe automatique avec une perte de contrôle qui risque de devenir pathologique et de s’aggraver. De même, le manque d’appétit peut se transformer en « ivresse de la faim ». Il faut donc repérer ces troubles pour pouvoir aborder la question et se faire aider avant qu’ils ne se transforment en un système rigide.

Comment ne pas devenir complice d’un ado boulimique ?

Comme la boulimie ne s’accompagne pas souvent d’un gain de poids, il est très difficile de la remarquer. Pourtant, certains signes peuvent alerter l’entourage : des disparitions aux toilettes après chaque repas, un frigo visité et vidé à des heures inhabituelles, des réserves de gâteaux qui se volatilisent. Dans ce cas, il ne faut pas remplir à nouveau le frigo et les placards sans poser de questions. Cela reviendrait à se rendre complice. Il ne faut pas non plus enfermer les réserves, ce serait nier la souffrance de la jeune fille. Il faut plutôt se demander ce qui ne va pas et ne pas hésiter à se faire aider. Le médecin généraliste peut être le premier interlocuteur.