L’endométriose est une maladie évolutive dont les causes sont encore méconnues. Seul moyen d’assurer une prise en charge efficace des douleurs de ces femmes: l’information. Informer les patientes mais aussi le corps médical qui, pour déceler cette maladie, doit la connaître et la reconnaître, écouter sa patiente et surtout ne pas minimiser sa souffrance.
Nous avons rencontré le Docteur Jacques Dequesne, spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique, Professeur invité à l’Université de Liège et spécialiste de l’endométriose. Lors d’une entrevue, il a répondu à nos questions qui sont celles de toutes les femmes qui souffrent anormalement pendant leurs règles.
Questions de santé: Concrètement, qu’est-ce que l’endométriose ? Prof. Jacques Dequesne: Le terme d’endométriose provient du mot endomètre, qui désigne cette couche tissulaire de l’utérus qui s’élimine chaque mois au cours des règles. Pour des raisons qui restent encore inconnues, des cellules de cette muqueuse se fixent parfois à l’intérieur du ventre, s’y greffent et provoquent une réaction inflammatoire. Cette localisation anormale crée alors des foyers d’endométriose qui, sous l’influence du cycle menstruel, saignent à l’intérieur du ventre provoquant d’importantes douleurs.
Questions de santé : Les origines de cette maladie restent encore mal connues des spécialistes. Actuellement, quelles sont les hypothèses favorisées à ce sujet ? Il n’existe en effet pas de consensus sur le mécanisme de l’endométriose. Cependant, une hypothèse est actuellement favorisée: lors de chaque menstruation, on observe une régurgitation de l’endomètre dans l’abdomen par voie rétrograde. Les cellules de la muqueuse se greffent alors sur trois endroits clés: les ovaires, le péritoine et le rectum, formant ainsi les foyers qui saigneront chaque mois, car fonctionnant comme l’endomètre intra-utérin. Si le phénomène de menstruation rétrograde est présent chez toutes les femmes, c’est l’occurrence de cette greffe qui n’est actuellement pas expliquée, même si l’on avance certains facteurs de terrain, génétiques ou immunologiques.
Questions de santé : Comment la maladie évolue-t-elle ? L’endométriose est une maladie évolutive, ce qui signifie que son développement se fait par des phases successives identifiables. Ainsi, les foyers accumulés dans l’abdomen créent une cicatrice interne qui n’est pas toujours visible. Si les foyers ne sont pas diagnostiqués suffisamment tôt, la cicatrice s’étend et peut, avec le temps, infiltrer et transpercer les organes voisins comme la vessie, le rectum ou le vagin.
Questions de santé : Comment peut-on la diagnostiquer ? Une difficulté dans le diagnostic de cette maladie est le fait qu’il n’existe pas de corrélation étroite entre l’intensité des douleurs et l’étendue des foyers d’endométriose. De plus, comme ils peuvent atteindre d’autres organes qui deviendront eux-mêmes sources de douleur, la première étape importante pour guider le praticien est l’écoute attentive de sa patiente, pour évaluer la fréquence, l’intensité et la localisation des douleurs. La deuxième étape consiste en un examen gynécologique approfondi et une échographie préalable qui peuvent évoquer le diagnostic. Enfin, seule une laparoscopie (passage d’une caméra dans l’ombilic) permettra de mettre formellement en évidence des lésions et de faire une biopsie qui, une fois analysée en laboratoire, assurera le diagnostic définitif.
Questions de santé : De quelle manière pouvez-vous juger que les douleurs ressenties ne sont plus normales ? Seul un suivi rapproché et continu de la patiente par un gynécologue spécialisé permettra de suggérer l’endométriose. De plus, son expression principale étant l’infertilité, elle est souvent diagnostiquée lors d’une consultation spécialisée dans les problèmes de procréation.
Questions de santé : Peut-on envisager des moyens de la prévenir ? Comme les causes de l’endométriose restent inconnues, aucune prévention directe n’est possible. En revanche, nous pouvons prévenir les récidives de la maladie en suivant la patiente entre 3 et 4 fois par année, en guettant la moindre modification des symptômes et, en cas d’évolution importante, en supprimant les règles quelques mois à l’aide de contraceptifs oraux.
Questions de santé : Au-delà de la connaissance de la maladie, quelle prise en charge êtes-vous actuellement à même de proposer à vos patientes ? Comment élaborez-vous le traitement ? En fonction de quels critères ? Le traitement est à la carte, c’est-à-dire qu’il est adapté à chaque patiente en fonction de son profil et du but thérapeutique poursuivi. Les médicaments vont servir à limiter l’inflammation, à supprimer les règles et donc à bloquer l’activité des foyers d’endométriose. Cette phase médicamenteuse prépare à l’intervention chirurgicale, mais son efficacité est limitée à la période du traitement.
Questions de santé : Quand devient-il indispensable d’intervenir chirurgicalement ? Il devient indispensable d’opérer lorsque l’on peut observer la formation de kystes sur les ovaires et/ou de nodules sur le rectum, autrement dit lorsque l’endométriose devient infiltrante. Même dans un cas où ces lésions ne provoqueraient aucune douleur importante, la chirurgie reste indispensable en cas de désir de grossesse.
Questions de santé : Comment se déroule l’opération ? De quoi faut-il tenir compte ? Hormis les risques liés à l’anesthésie, quelles sont les difficultés à prendre en compte ? La prise en charge opératoire moderne de l’endométriose est reconnue comme étant l’apanage d’experts de la maladie. En effet, la vraie difficulté pour un chirurgien est d’évaluer, grâce à son expérience, la partie cachée de l’iceberg, c’est-à-dire ces fibroses qui envahissent en profondeur les organes voisins. En fonction des cas, le chirurgien en obstétrique pourra faire appel à d’autres spécialistes comme l’urologue ou le chirurgien digestif, pour traiter de manière ciblée les organes infectés. Une chirurgie totale, c’est-à-dire l’ablation complète des foyers d’endométriose, est indispensable pour amoindrir le risque de récidive.
Questions de santé : L’intervention chirurgicale est-elle dans tous les cas efficace ? Combien de femmes retrouvent une vie normale ? Quels sont les pourcentages de récidive ? En termes de chiffres, on constate que dans 85% des cas, les douleurs diminuent ou disparaissent après une intervention chirurgicale. Un suivi de la patiente reste cependant nécessaire pendant 5 à 10 années. Dans le traitement de la stérilité, la chirurgie permet une grossesse dans 35 à 50% des cas. Cependant, ce pourcentage diminue ou augmente en fonction du nombre d’interventions déjà subies. D’où l’importance d’une ablation complète. De manière générale, on peut dire que plus de 80% des femmes retrouvent une vie normale, sans douleur et sans angoisse.
Questions de santé : De manière générale, quels ressentiments psychologiques observez-vous chez les patientes qui viennent vous voir ? Les sentiments évoqués par les patientes sont souvent constitués d’incompréhension face à la maladie, qu’elles connaissent souvent mal faute d’avoir été bien informées, ainsi que d’un manque d’écoute lié au fait de minimiser l’importance de la maladie. Enfin, certaines ont subi tellement d’interventions chirurgicales sans résultat que cela les atteint et les décourage profondément.